Le 24 avril 2025, le ministre du Travail a déposé à l’Assemblée nationale du Québec (ANQ) le projet de loi 101, Loi visant l’amélioration de certaines lois du travail (ci-après le Projet de loi). Tel que rédigé, le Projet de loi propose des modifications d’une importance variable régissant les milieux de travail, dont le Code du travail (CT), la Loi sur les normes du travail (LNT), la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) et la Loi sur la santé et la sécurité au travail (LSST). Il propose également de reporter en 2026 l’entrée en vigueur de certaines dispositions relatives à la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail (LMRSST).
À la suite des consultations particulières s’étant déroulées au cours des mois de mai et juin 2025, l’ANQ a adopté, le 5 juin dernier, le principe du Projet de loi, marquant ainsi son accord sur les objectifs généraux de la réforme et permettant le début de l’étude détaillée en commission parlementaire. Cette étape devrait avoir lieu à l’automne 2025, lors de la reprise des travaux parlementaires. Le Projet de loi demeure en cours d’étude et sujet à amendements. Ceci étant, les mesures présentement envisagées sont susceptibles de modifier de manière significative certains pans des relations employeurs-employés.
Nous présentons ci-après un aperçu des principales modifications proposées par le Projet de loi ainsi que leurs conséquences pratiques.
Code du travail
Avec l’objectif d’améliorer la procédure d’arbitrage de griefs et d’en accélérer le déroulement, le Projet de loi prévoit amender le CT afin d’y introduire des délais impératifs pour la désignation d’un arbitre et la tenue de la première audience.
Un arbitre devra désormais être désigné dans les six mois suivant le dépôt du grief. À défaut, la partie requérante disposera d’un délai additionnel de dix jours pour demander la nomination d’un arbitre par le Ministre, sans quoi elle sera réputée s’être désistée. Une prolongation additionnelle de dix jours pourra être accordée par le Tribunal administratif du travail en cas d’impossibilité d’agir.
Dans l’optique d’éviter que les griefs ne soient entendus plusieurs années après leur dépôt, le Projet de loi prévoit également que l’audience de tout grief devra débuter au plus tard un an après son dépôt. L’arbitre saisi pourra, à la demande des parties, accorder une seule prolongation de ce délai, et ce, pour un nombre de jours précis.
Le Projet de loi modifie, en outre, la pratique relative aux conférences préparatoires à l’audience. En effet, à l’heure actuelle, une telle demande est laissée à la discrétion de l’arbitre. Le Projet de loi prévoit plutôt que l’arbitre devra, dorénavant, obligatoirement tenir une conférence préparatoire si l’une ou l’autre des parties le demande.
Par ailleurs, le Projet de loi prévoit que toute partie ayant l’intention de produire une pièce ou un élément de preuve devra la communiquer à l’arbitre ainsi qu’aux autres parties, dans le délai fixé lors de la conférence préparatoire ou, à défaut, au moins 30 jours avant le début de l’audience. Par cet ajout, le législateur impose aux parties une obligation de divulgation préalable des éléments de preuve afin d’éviter toute surprise lors de l’audience.
Le Projet de loi propose également l’introduction de l’obligation pour les parties d’envisager la médiation avant de recourir à l’arbitrage. Bien qu’il ne s’agisse que d’une obligation de considérer la médiation et non d’y procéder, cette mesure s’inscrit dans une volonté de diminuer le nombre de dossiers portés devant les tribunaux d’arbitrage et d’encourager le règlement des griefs par les parties. Il convient de préciser que la personne qui agit à titre de médiateur ne pourra agir à titre d’arbitre et que les informations échangées au cours de la médiation ne pourront être utilisées ultérieurement lors de l’arbitrage, sauf si les parties y consentent.
Loi sur les normes du travail
Le Projet de loi propose également d’amender la LNT de manière à y introduire une nouvelle catégorie d’absence protégée (non rémunérée) au bénéfice des personnes salariées qui sont dans l’impossibilité d’effectuer leur prestation de travail en raison « d’une recommandation, d’un ordre, d’une décision ou d’une ordonnance émis en application de la Loi sur la santé publique, de la Loi sur la mise en quarantaine, de la Loi sur les mesures d’urgence ou de la Loi sur la sécurité civile visant à favoriser la résilience aux sinistres, ou en raison d’un sinistre au sens de cette dernière loi ou de son imminence ». Toute personne salariée souhaitant se prévaloir de cette absence devra en informer son employeur dans les plus brefs délais et l’employeur pourra, lorsque les circonstances le justifient, exiger la production d’un document attestant des motifs de l’absence.
Le Projet de loi modifie également certaines dispositions relatives à la personne salariée qui agit à titre de réserviste des Forces armées canadiennes. Notamment, le Projet de loi propose de réduire à trois mois la période de service continu requise pour être admissible à ce congé. Dans un même ordre d’idée, le Projet de loi prévoit également augmenter la durée maximale de ce congé, laquelle passerait à 24 mois par période de 60 mois.
Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles
Le Projet de loi vise à élargir la portée du régime exclusif de la LATMP. Plus précisément, la définition de « travailleur » inclurait désormais les dirigeants lorsqu’ils exécutent personnellement un travail pour une personne autre que celle à l’égard de qui ils exercent leur rôle de dirigeant.
De plus, le Projet de loi propose l’introduction d’un nouveau régime de négociation volontaire applicable lors des demandes de révision administratives portant sur certains sujets, tel le droit du travailleur à une indemnité de remplacement de revenu, la capacité du travailleur à exercer son emploi, un emploi équivalent ou un emploi convenable ou la détermination de l’emploi convenable du travailleur. Telle que modifiée par le Projet de loi, la LATMP encadrerait également les règles gouvernant le processus de négociation et le contenu de l’entente qui pourrait en découler.
Enfin, l’article 458.1 de la LATMP ferait l’objet d’une modification de son libellé. Alors que cette disposition vise actuellement tout employeur qui tente d’obtenir ou obtient un dossier médical sans y être autorisé, la nouvelle disposition viserait, pour sa part, l’employeur qui contrevient expressément à l’article 38 de cette même loi, laquelle prévoit l’interdiction d’accès au dossier médical et au dossier de réadaptation physique du travailleur. Les amendes reliées à cette infraction seraient diminuées, sauf dans le cas d’un dossier concernant une lésion professionnelle résultant de violence physique ou psychologique, notamment à caractère sexuel. Il demeure incertain si cette modification vise à restreindre ou à élargir la portée de l’article, ce qui peut causer de la confusion à cette étape préliminaire.
Loi sur la santé et la sécurité du travail
Concernant la LSST, le Projet de loi prévoit un régime de soutien financier destiné aux employeurs dans le cadre du retrait préventif d’une travailleuse enceinte ou qui allaite. Plus précisément, de nouveaux articles prévoiraient que la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) rembourserait l’employeur d’une travailleuse réaffectée à une tâche dont la rémunération est inférieure à celle de son poste habituel. Cette mesure vise à encourager la réaffectation temporaire plutôt que de privilégier, d’emblée, le retrait préventif.
Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail
Par ailleurs, le Projet de loi prévoit le report de l’entrée en vigueur de certaines dispositions de la LMRSST. En effet, selon la version initiale de cette loi, le régime intérimaire en vigueur depuis le 6 avril 2022 devait prendre fin au plus tard le 6 octobre 2025, laissant place aux nouvelles exigences de la LMRSST. Toutefois, le Projet de loi propose de modifier cette échéance en repoussant d’une année l’entrée en vigueur de ces exigences.
Ainsi, le régime intérimaire demeurerait en vigueur jusqu’au 6 octobre 2026, au plus tard. Conséquemment, à compter du 6 octobre 2026, tous les établissements de 20 travailleurs ou moins devront, entre autres, mettre en place un plan d’action. Les établissements de 20 travailleurs et plus devront, pour leur part, adopter un programme de prévention et former un comité de santé et de sécurité.
Augmentation des amendes
Finalement, le Projet de loi prévoit aussi une augmentation significative des montants des amendes prévues aux dispositions pénales du CT et de la LNT.
Par exemple, le montant de l’amende pour un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi prévue au CT, actuellement fixé entre 100 $ et 1 000 $ par jour, serait porté entre 1 500 $ et 7 500 $ par jour. De même, l’amende maximale pour la violation des dispositions relatives à l’utilisation de travailleurs de remplacement pendant un conflit de travail passerait de 1 000 $ par jour à un montant variant de 2 500 $ à 25 000 $ par jour.
Pour ce qui est de la LNT, la contravention à la majorité de ses dispositions est actuellement punissable par une amende de 600 $ à 1 200 $ pour une personne physique et de 1 200 $ CA à 6 000 $ CA pour une personne morale. Le Projet de loi propose d’augmenter ces montants à respectivement 1 000 $ CA à 10 000 $ CA et 2 000 $ CA à 20 000 $ CA. Enfin, pour certaines infractions spécifiques, notamment celles relatives au harcèlement psychologique ou aux agences de placement de personnel, les amendes passeraient de 600 $ CA à 6 000 $ CA à 1 000 $ CA à 25 000 $ CA dans le cas d’une personne physique, et de 1 200 $ CA à 12 000 $ CA à 2 000 $ CA à 50 000 $ CA dans le cas d’une personne morale.
De plus, le Projet de loi prévoit qu’en cas de récidive, les amendes seront doublées, puis triplées par la suite.
Conclusion
Le Projet de loi comporte plusieurs modifications susceptibles d’avoir un impact direct sur la gestion des ressources humaines et des litiges en milieu de travail, particulièrement dans les milieux syndiqués. L’introduction de nouveaux délais dans le CT, l’obligation de divulgation préalable des éléments de preuve et l’encadrement plus strict de la médiation et de l’arbitrage appellent les employeurs à faire preuve d’une préparation accrue en amont des audiences.
Par ailleurs, l’ajout d’absences protégées et l’assouplissement des conditions d’accès à certains congés exigent une mise à jour des politiques internes et un suivi rigoureux des obligations légales. Bien que certaines mesures, comme le remboursement lié à la réaffectation temporaire d’une travailleuse enceinte ou allaitant, puissent représenter un allègement financier, elles nécessiteront une bonne compréhension du nouveau cadre administratif applicable.
Enfin, la hausse marquée du montant des amendes en cas de non-conformité renforce l’importance pour les employeurs de revoir leurs pratiques et leurs processus internes afin d’assurer leur conformité.
Nous serons à l’affût des développements concernant ce Projet de loi et vous tiendrons dûment informés de son évolution.
Si vous avez des questions au sujet de ce Projet de loi ou d’autres enjeux de droit du travail, n’hésitez pas à communiquer avec Arianne Bouchard, Sarah-Émilie Dubois et Daniel Santos Vieira, qui signent cet article, ou avec tout autre membre du groupe de droit de l’emploi et du travail de notre bureau de Montréal.
L’auteur et les autrices tiennent à remercier Simone Lebel, étudiante en droit, pour sa précieuse collaboration à la préparation de cet article.